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Les Promenades d'Erin

Une sorcière s'en est allée...

5 Décembre 2020, 22:39pm

Publié par Erin

Anne Sylvestre (1934-2020)

Anne Sylvestre (1934-2020)

Chère Anne,

Je suis triste que soit venu le moment pour moi de parler de toi au passé. Je ne l'avais pas du tout envisagé. Comme pour Graeme Allwright, j'ai dû repenser la parution de mes articles et décaler leur écriture, afin de te faire une place qui soit digne de ta personne.

Avec ta disparition, c'est une partie de mon enfance qui s'en va aussi, que tu emportes avec toi. Comme pour beaucoup, tes fabulettes ont rythmé mon enfance. Tantôt douces, drôles et même effrayantes parfois, elles me plaisaient sans me plaire vraiment. Enfant, je ne te trouvais pas toujours très accessible, ta voix ne m'était pas forcément agréable et tes textes n'étaient pas si évidents, même à ma hauteur. Mais (c'est la preuve que tu ne prenais pas ton jeune public pour un imbécile et que ta démarche était bonne,) malgré tout ça, j'ai continué à écouter. Je connaissais tes histoires de nouilles, de yaourts, de chocolat par coeur et évitais systématiquement d'écouter ta sadique séance de torture sur une pauvre tomate qui n'avait commis aucune faute en dehors de celle d'exister. Merci pour le trauma.

Parce que très injustement tu passais peu dans les médias institutionnels, j'ai découvert sur le tard ton répertoire pour adultes. Mieux vaut tard que jamais et je suis heureuse de l'avoir fait de ton vivant. Ma première rencontre avec celui-ci s'est faite avec cette magnifique version live d'Une sorcière comme les autres, qui m'a servie d'illustration pour un article sur un essai de Mona Chollet, et qui est à mon sens une des plus belles chansons jamais écrites sur les femmes et leur condition. Chaque mot est parfaitement bien choisi et à sa juste place. Ton interprétation poignante fait automatiquement venir mes larmes, même lorsque je ne les souhaite pas. Et le meilleur c'est que tu étais capable de réitérer cette prouesse d'écriture pour chacune de tes chansons.

Aujourd'hui, les médias et le monde de la musique veulent te rendre hommage alors que sans aucun doute la plupart sont comme moi et ne connaissent pas la moitié de ton répertoire, qui compte plus de six cents chansons. Pardon, chère Anne. Pardon de ne pas être revenue vers toi une fois le temps des fabulettes passé, toi qui avais tant de choses à dire et qui a passé ta vie à t'engager au moins au travers de ta musique, pour la cause des femmes et de leur liberté.

La puissance et la finesse de ton écriture t'ont valu le surnom très réducteur de "Brassens en jupons". A mon sens, c'est presque une insulte à te faire, mais on sait à quel point les médias aiment mettre les artistes dans des cases...Lui-même ne pensait pas que tu étais une pâle copie de son ombre, mais ce qui pouvait se faire de mieux dans la chanson Française de l'époque. Heureusement que tu n'étais visiblement pas du genre à t'en laisser compter, et que tu as toujours pratiqué ton art dans la plus grande liberté. C'est ce qui fait ta force et permet à ta musique de ne pas vieillir, quelque soit le sujet qu'elle véhicule.

En avance sur ton temps, tu parlais féminisme à l'époque où tout le monde se foutait des femmes, et tu chantais les merveilles d'une nature à préserver à l'heure où tout le monde se foutait de l'écologie. Force est de constater qu'en 2020, si tes morceaux s'écoutent toujours aussi bien c'est qu'ils résonnent encore avec l'actualité. Le monde n'a pas tant bougé que cela...

Mais dans notre tempête actuelle, il était bon de savoir qu'à ton âge tu te mobilisais encore et que nous pouvions compter sur ton regard d'artiste quand la brume se faisait un peu trop dense autour de nous. Anne, ma chère Anne, je n'ai rien vu venir... Je te découvre à peine que déjà tu préfères tirer ta révérence. Garde bien au chaud ce petit bout de mon enfance et en échange je m'engage à faire voyager tes chansons et à les propager, pour le bien, le réconfort et le soutien qu'elles procurent. Et pour racheter mon ignorance.

Adieu Sorcière !

"Petit bonhome" (1977)

"Les gens qui doutent" (1977)

"Le lac saint-Sébastien" (2000)

"Juste une femme" (2013)

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P
Encore bravo, très émouvant. Écoutez la sorcière, source d'hier....
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E
Merci beaucoup ! Bisous.