Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les Promenades d'Erin

Joyeux anniversaire, Dewaere

26 Janvier 2020, 08:09am

Publié par Erin

Patrick Dewaere 1947-1982

Patrick Dewaere 1947-1982

Il y a de ces personnalités dont la vie passe vite, comme une étoile filante et dont la course s'arrête net, souvent en pleine gloire. En musique, Kurt Cobain, Janis Joplin ou Amy Winehouse font tristement partis du célèbre "club des 27". Chez les littéraires, Antoine de Saint-Exupéry et Arthur Rimbaud sont respectivement décédés à 44 et 37 ans. Le 16 juillet 1982, le cinéma Français pleure un de ses plus grands ambassadeurs et comédiens: Patrick Dewaere, 35 ans, s'est suicidé.

Né le 26 janvier 1947, il aurait eu 73 ans aujourd'hui. C'est sans doute un peu cliché de le dire comme ça, mais il est un des mes comédiens préférés et je profite de cette date anniversaire pour écrire sur lui. Pour ce qui ne le connaîtraient pas encore et qui auront donc la chance de le découvrir, je vais le présenter un peu et vous parler de ses films, (du moins ceux que j'ai vu) qui ont marqués tout une époque.

Troisième d'une fratrie de six enfants (quatre frères et une soeur), Patrick Dewaere s'appelle à l'époque Patrick Bourdeaux (nom de son beau-père), puis Maurin, du nom de sa mère Mado, comédienne de son état. Celle-ci n'hésitant jamais à faire figurer ses enfants dans des films ou au théâtre, le petit Patrick passe son enfance sur les planches ou les plateaux de tournage. C'est à la fin des années 1960, lorsqu'il rejoindra la joyeuse troupe du Café de la Gare qu'il prendra le nom de sa grand-mère De Waëre, transformé en "Dewaere" par erreur.

Le Café de la Gare, c'est un joyeux bordel bercé par le vent de liberté de 1968. La troupe, constituée de comédiens comme Romain Bouteille, Coluche et Miou-Miou entre autres, écrit ses propres textes, improvise, monte ses propres décors... Patrick Dewaere qui cherche à se délivrer de son carcan familial parfois oppressant s'est trouvé une nouvelle famille qu'il gardera toute sa vie, et vers laquelle il retournera toujours, même lorsqu'il ne fera plus officiellement partie de la troupe.

Au café de la Gare: en haut à gauche: Patrick Dewaere, au centre: Romain Bouteille, devant à gauche : Miou-Miou, devant à droite, Coluche

Au cinéma, sa carrière décolle officiellement en 1974, grâce à Bertrand Blier et son film intitulé Les Valseuses. Aujourd'hui monument du cinéma Français, c'est un film qui bouscule la morale bourgeoise de l'époque. Patrick Dewaere y campe Pierrot, compagnon de vadrouille de Jean-Claude (Gérard Depardieu), avec qui il se lance dans une folle expédition à la suite d'un vol de sac à main qui ne se passe pas comme prévu. Au cours de leur joyeuse cavale, Jean-Claude et Pierrot feront des rencontres plus ou moins agréables. Parmi les joies il y a Miou-Miou, interprétant le rôle de Marie-Ange, qui décide de suivre ce drôle de duo en formant ainsi un trio culte. L'intrigue de ce film n'est pas des plus complexes, mais on s'en fiche. L'important se situe dans des dialogues magnifiques et un jeu d'acteur irréprochable. Le ton cru ainsi que de nombreuses scènes portées sur le sexe et sa liberté donnent un ADN unique à l'histoire. Aujourd'hui, on ne pourrait sans doute plus faire un film de la même trempe. C'est pour ça qu'il faut le voir.

Gerard Depardieu, Miou-Miou et Dewaere dans Les Valseuses

En 1975, Patrick Deware retrouve Miou-Miou (avec qui il est désormais en couple) pour tourner Lily aime-moi de Maurice Dugowson. Il y joue Johnny Cask, joyeux boxeur qui part en virée à la campagne avec François (Jean-Michel Folon) et Claude (Rufus), désespéré du départ de Lily sa compagne, (Zouzou) qu'il tente de reconquérir.

Pour son rôle de boxeur, Patrick Dewaere se met très sérieusement à la boxe, même si le sport n'est pas le coeur du sujet. Parce que c'est comme ça qu'il envisage le jeu, et ce sera sa marque de fabrique: être au plus près possible des personnages, faire le plus "vrai" possible, quelque soit l'importance du rôle.

L'année suivante, Claude Miller le choisit pour jouer Marc, animateur de colonies de vacances grande gueule, face au sensible Patrick Bouchitey qui joue son collègue Philippe, dans La meilleure façon de marcher. Ici Dewaere est un con, macho et cruel, qui prend plaisir à tourmenter plus fragile que lui, jusqu'au moment où...

Le jeu des deux acteurs est impeccable, et capte l'attention du spectateur vers cette histoire simple où la part belle est faite à la psychologie des personnages.

Patrick Bouchitey et Patrick Dewaere dans La meilleure façon de marcher

Toujours en 1976 (Dewaere est un peu "boulimique" et sa notoriété grandissante lui permet de beaucoup travailler en faisant régulièrement plusieurs films par année), il retrouve Maurice Dugowson pour tourner F... comme Fairbanks. C'est l'histoire d'André, chômeur, qui par l'intermédiaire de son ami Jean-Pierre va rencontrer Marie, (Miou-Miou) jeune comédienne venue tenter sa chance à Paris. Ces deux-là vont s'aimer passionnément. Mais André est toujours chômeur et un peu perdu. Son moral en baisse va détériorer sa relation amoureuse, qui va douloureusement en pâtir.

C'est curieux (et un peu flippant) comme parfois la fiction rejoint la vie. A l'époque du tournage, Dewaere est partenaire de Miou-Miou pour le film, mais n'est plus son amoureux dans la vie... Elle a choisit Julien Clerc, (à qui Patrick à cassé la gueule lorsque Miou-Miou l'a quitté) et de fait l'ambiance sur le tournage n'est pas toujours au beau fixe. S'ils jouent les amoureux devant la caméra, quand la journée se termine, ils se demandent plutôt avec lequel de ses deux parents va repartir la petite Angèle qui est encore un bébé... Patrick Dewaere à du mal à se remettre de cette rupture, mais se nourrira sans doute de cette détresse pour jouer de formidables scènes de disputes et de joies intenses, pour ce très beau film.

F comme Fairbanks

En 1977, il joue le rôle principal du film Le juge Fayard dit le "le Sherif" d'Yves Boisset. Dans cette histoire inspirée de celle du juge Renaud, il joue un juge d'instruction intègre et rigoureux dont les méthodes peu conventionnelles vont le conduire à se faire "placardiser. " Persévérant, il se plonge dans une enquête à priori sans grands rebondissements qui le conduira finalement sur la piste de la corruption et du blanchiment d'argent.

L'année d'après, il retrouve Bertrand Blier pour tourner Préparez vos mouchoirs, comédie où il retrouve Gérard Depardieu. Il joue Stéphane, professeur d'éducation physique dans le Nord, que Raoul va un jour croiser. Raoul est en couple avec Solange (Carole Laure), qui a perdu le sourire. Alors pour essayer de le lui redonner, Raoul va littéralement coller sa femme dans les bras de Stéphane...

Au départ, Bertrand Blier voulait réunir le trio des Valseuses, mais Miou-Miou n'était paraît-il pas très emballée à l'idée d'être celle que se partagent Dewaere et Depardieu en ayant les seins à l'air une scène sur trois. Qu'à cela ne tienne, Carole Laure fait parfaitement l'affaire. On retrouve ici la marque fabrique de Blier, à savoir un scénario très bien écrit avec des dialogues au cordeau où Patrick Dewaere se démarque, en collectionneur fou de livres de poche.

Carole Laure, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere dans Préparez vos mouchoirs

1979: Dewaere va d'abord tourner la comédie Coup de tête, de Jean-Jacques Annaud. C'est une comédie légère qui va lui donner l'occasion de faire le con, pour le plus grand plaisir du spectateur. Il escalade les murs, se déshabille en public ou bien pète les plombs devant une table entière de joueurs. Chouette.

Mais c'est surtout l'année d'un de ses films les plus importants, à savoir Série Noire, d'Alain Corneau. Le scénario est signé Georges Perrec et raconte l'histoire de Franck Poupart, excentrique représentant de commerce, qui va croiser la route de la jeune Mona, que sa tante prostitue sans que ça ne gêne personne. Ensemble, ils vont commettre un crime, Poupart va progressivement se retrouver dans une situation ingérable et basculer lentement mais sûrement dans la folie.

C'est sombre, dérangeant, grinçant et très drôle à la fois. Dûr, aussi. Surtout pour quelqu'un comme Patrick Dewaere qui n'a pas pour habitude de jouer ses rôles (trop facile !), mais plutôt de les vivre. Quand il se cogne la tête contre le capot de sa voiture, c'est pour de vrai. Quand il bat son épouse, il ne fait pas semblant. Quand il plonge la tête sous l'eau et qu'il met du temps à remonter à la surface, ça fait un peu peur... Série Noire sera un des films dont il sera le plus fier, même s'il n'est pas convaincu par la première projection. Il admettra aussi qu'il n'est pas sorti indemne de ce personnage qui restera un des plus marquants de sa filmographie. C' est un chef-d'oeuvre grâce à lui c'est sûr, mais aussi parce que tout y est réussi. De la lumière aux dialogues, en passant par le reste du casting, notamment Bernard Blier et la toute jeune Marie Trintignant.

Dewaere et Marie Trintignant, âgée de 16 ans

Ensuite, il rencontre Claude Sautet, avec qui il rêvait de travailler depuis longtemps. Ils feront ensemble Un mauvais fils (le premier film de la filmographie de Dewaere que j'ai vu et à mon sens, un des plus touchants). Il y campe Bruno, le fils d'un ouvrier (magnifiquement interprété par Yves Robert) qui rentre chez lui après avoir purgé une peine de prison. Il va cumuler les petits boulots pour tenter de reprendre sa vie en main, jusqu'au jour où, employé dans une librairie, il rencontre Catherine, sa collègue (Brigitte Fossey), ancienne toxicomane. Ils vont s'aimer, et se faire replonger dans les abîmes de la drogue.

Le plus beau dans ce film c'est cette relation compliquée entre le père et le fils, qu'une génération oppose. Bruno fait ce qu'il peut pour plaire à ce père un peu rude qui le tient pour responsable du décès de son épouse. C'est très émouvant et d'une grande tendresse. Mention spéciale à Jacques Dufhilo, formidable en patron libraire, qui fera tout pour tenter de sortir ses amis de la catastrophe dans laquelle ils se sont fourrés.

Avec Yves Robert dans Un mauvais fils

Peu de temps après, sort Psy, de Philippe de Broca, sorte de vaudeville sur fond de psychothérapie collective, puis Hôtel des Amériques, d'André Téchiné, en 1981, une histoire d'amour entre Catherine Deneuve et lui. Elle fait progressivement le deuil de son ex-compagnon décédé dans un accident de voiture, lui jalouse le mort et la place qu'il prend dans le coeur de son aimée. Du Téchiné dans son jeune temps, (il y a toujours quelque chose de bien chez ce réalisateur...) mais pas forcément la plus captivante des histoires.

1981, c'est aussi l'année où Patrick Dewaere retrouve Bertrand Blier (pour la troisième fois) avec un film intitulé Beau-Père. Rémi est un peu paumé, dans une relation qui bat de l'aile, à laquelle sa femme (Nicole Garcia) veut mettre fin. Malheureusement, elle décède d'un accident de voiture avant de pouvoir le faire. Rémi se retrouve donc seul avec Marion, la fille de son épouse, âgée de 14 ans. Cette dernière choisit de rester vivre avec Rémi qui l'élève depuis plusieurs années, plutôt que de retrouver son père, avec qui elle partage peu de choses. D'autant qu'en réalité, elle est amoureuse de son beau-père.

C'est une très belle histoire d'amour, qui si elle étonne au premier abord, devient une évidence ensuite. Parce que Patrick Dewaere et sa très jeune partenaire, Arielle Besse, crèvent l'écran. Parce que c'est du Blier et que c'est bien écrit. Parce qu'on avait jamais encore parlé de ça au cinéma. Si le tournage de ce film se passe très bien, il n'en est pas de même pour sa sortie. Le distributeur du film ne choisit pas la photo prévue pour l'affiche. Il choisit celle qui provoque, où l'intimité d'Arielle Besse est entièrement dévoilée. L'affaire fait scandale, les parents portent plainte et la promotion du film en souffre, ainsi que les entrées. Arielle Besse n'a plus jamais fait de cinéma.

Avec Arielle Besse pour Beau-Père

En 1982 sort Mille milliards de dollars, où Dewaere interprète le journaliste Paul Kerjean, qui suite à un appel anonyme se retrouvera embringué dans une affaire qui va mettre sa vie en danger. Suspense, tension, il y a tout ce qu'il faut pour captiver l'attention du spectateur.

La même année, il tourne dans l'étrange film d'Alain Jessua, nommé Paradis pour tous. Le film parle d'un homme se retrouvant paralysé après avoir raté son suicide. Dépressif, il consulte un médecin (joué par Jacques Dutronc) qui grâce à une nouvelle thérapie qui coupe toute émotion négative, va lui rendre le sourire de manière littéralement permanente.

Et là encore, ça fait un peu froid dans le dos. Le film sort le 25 août 1982, soit à peine un peu plus d'un mois après que Patrick Dewaere ait lui réussi, à se tirer une balle de carabine dans la bouche. Nonobstant cette sensation désagréable due à cette corrélation entre la fiction et la réalité, le film vaut le coup d'être vu parce que le scénario est bizarre, dérangeant et invite à la réflexion sur le refoulement de nos émotions négatives.

Avec Philippe Léotard dans Paradis pour tous

Patrick Dewaere est mort à 35 ans, laissant derrière lui des dizaines de films et de pièces de théâtre à son actif. Dans cet article non exhaustif, je n'ai évoqué que les films que j'ai vu. Pour étayer mon propos je me suis aidé des interviews de Dewaere que l'on trouve sur youtube, de bonus de DVD contenant des entretiens avec des réalisateurs et de la biographie (mal écrite, mais utile parfois) de Christophe Carrière: Patrick Dewaere, une vie. (Qui prouve qu'on est pas obligé d'être bon écrivain pour sortir des bouquins. Dommage.)

Certains disent qu'il s'est suicidé parce qu'il avait subit des violences sexuelles dans son enfance (lui seul pourrait confirmer...), d'autres disent qu'une accumulation de rôles de "paumés" à joué sur son moral, qu'il était trop impliqué dans son travail, qu'il ne s'est jamais remis du départ de Miou-Miou, et certains accusent même sa dernière femme Elsa d'être responsable de sa dépression.... Moi je dis qu'on ne saura jamais, mais que c'est bien dommage...

Mais peut-être que si Dewaere n'avait pas été si fragile, il n'aurait pas joué avec autant de ferveur ? Ce qui est sûr c'est qu'il a marqué sa génération. S'il n'a jamais obtenu de récompenses de la part du milieu du cinéma, aujourd'hui un prix qui porte son nom, est décerné aux jeunes comédiens tous les ans. Beaucoup se réclament de lui, disent être ses héritiers. Ce qui est certain c'est qu'il n'y en aura pas deux comme lui. Ces films sont là pour en témoigner.

Tu parles, il est mort à 35 ans ! 35 ans ! ! Tu te rends compte de la perte ! Quelle époque de cons, on claquait pour un rien !

Patrick Dewaere (à propos de Mozart) dans "Préparez vos mouchoirs"

Extrait de Série Noire

Extrait des Valseuses

Extrait d'Un mauvais fils

Extrait de La meilleure façon de marcher

Commenter cet article